Etiologie

Virus de la BVD

La Diarrhée Virale Bovine (BVD) est une maladie virale des Bovins. Elle est causée par le virus de la BVD (BVDV).

Structure du virus de la BVD

Le virus BVDV est un virus enveloppé de petite taille (environ 50 nm), à ARN et de symétrie icosaédrique. Il appartient au genre Pestivirus et à la famille des Flaviviridae. Son génome est constitué d’un simple brin d’ARN de polarité positive, d’une longueur d’environ 12 500 nucléotides. Les gènes de la partie 5’ codent pour les protéines structurales alors que les deux tiers de la partie 3’ du génome codent pour des protéines dites non structurales. Dans le génome viral, il n’y a qu’une seule fenêtre de lecture, codant une seule protéine de 4000 KDa environ. Cette protéine est par la suite clivée en 4 protéines de structure et 6 à 7 protéines non structurales (figure 1). Ce clivage est réalisé par des protéases virales et cellulaires. L’enveloppe contient trois protéines virales (E0 ou Erns, E1 et E2), la protéine E2 étant l’antigène majeur responsable de la réponse en anticorps neutralisants. La protéine C est le principal constituant de la capside. Quatre à 6 protéines non structurales (NS) sont produites lors du cycle de multiplication du virus. NS3 est la protéine la plus conservée au sein du genre Pestivirus. Elle constitue elle aussi une cible privilégiée pour les anticorps lors d’infection, mais ces derniers ne sont pas neutralisants.

figure 1: Organisation génomique du virus BVD (© 2002 ASM Press)

figure 2: Les protéines du virus BVD

Diversité génétique du virus BVD

La classification actuelle du comité de taxonomie virale reconnait 4 sous-genres ou espèces chez les Pestivirus

  • les virus BVDV de type 1 (BVDV-1) et de type 2 (BVDV-2)
  • le virus de la maladie des Frontières ou Border Disease (BDV) qui touche principalement les ovins
  • le virus de la Peste Porcine Classique ou Classical Swine Fever (CSFV).

Toutefois, la classification des souches de pestivirus repose de plus en plus sur les différences de séquences de certaines régions du génome viral. La première région concernée est une séquence de 245 paires de base de l’extrémité 5’ non codante, ou 5’ UTR. Cette portion possède des séquences particulières de nucléotides très constantes au sein du genre des pestivirus et d’autres très variables permettant la classification.  Plus récemment le séquençage des parties Npro et E2 a permis d’envisager des critères de classification supplémentaires. Il a ainsi été suggéré de diviser le genre pestivirus en  7 groupes génétiques et 2 rameaux divergents (pestivirus de l’antilope et pestivirus de Bungowannah). Dans les 7 groupes génétiques, on retrouve les 4 sous-genres officiels (BVDV-1, BVDV-2, BDV et CSFV) plus un 3e génotype du BVDV, le BVDV-3 comprenant des pestivirus atypiques, le pestivirus de la girafe et des isolats tunisiens regroupés sous le Tunisian sheep virus (TSV).

Au sein des virus BVD, il existe de très nombreux génotypes, plus de 400 reconnus et identifiés à ce jour. Au moins 16 sous-groupes ont été identifiés pour le génotype 1 (BVD1a à BVD1p), et quatre pour le génotype 2 (BVD2a à BVD2d). Un troisième génotype (BVDV3), non reconnu officiellement,  regrouperait des souches atypiques isolées. Au fur et à mesure des investigations d’autres sous-groupes peuvent être découverts, comme récemment en Suisse. Les deux génotypes présentent une répartition géographique différente. En Amérique du Nord, les espèces de BVD-1 et de BVD-2 sont rencontrées environ à parts égales. En Europe, les BVD-1 est très largement majoritaire (plus de 90% des cas). En France, A l’heure actuelle, aucune étude n’a permis d’objectiver la circulation de BVD-2.

Evolution des pestivirus: La première diversification des pestivirus  aurait eu lieu à la fin du XVe siècle pour donner deux entités, les pestivirus de bovins et de la girafe d’un coté et les pestivirus d’origines ovine et porcine (CSFV, BDV et TSV) de l’autre coté. Le pestivirus de la girafe se serait séparé des pestivirus bovins au début du XVIIe siècle en Afrique, puis les souches de BVDV-3 en Afrique du Sud et en Asie vers les années 1680. Le dernier événement serait la séparation BVDV-1 et BVDV-2 vers les années 1740 quand le BVDV-2 évolua indépendamment en Amérique du Nord. La diversification du BVDV-1 en sous-groupes génétiques aurait débuté au début du XIXe siècle, environ 150 ans avant la première description de la maladie.

Diversité phénotypique du BVDV: notion de biotype

Chaque souche de virus BVD peut exister sous deux biotypes différents :

  • Le biotype cytopathogène (cp)
  • - Le biotype non-cytopathogène (ncp)

Cette distinction est basée sur la destruction ou non des tapis cellulaires en culture. Ce comportement in vitro d’une souche ne reflète cependant en rien son pouvoir pathogène in vivo, la plupart des souches virulentes étant des souches nCP. Les deux biotypes ont des caractéristiques propres permettant de les différencier (Tableau 1). Seuls les biotypes nCP entraînent une virémie et sont donc capables d’induire une infection transplacentaire. Par ailleurs la distribution des souches CP dans l’organisme est très réduite ainsi que leurs capacités de transmission entre individus. En résumé, le biotype nCP apparaît comme le biotype le plus important, d’un point de vue épidémiologique car il est responsable des transmissions horizontale et verticale du virus. 
Les souches CP émergent de souches nCP chez les animaux infectés permanents par des modifications du génome viral de la souche nCP.

biotype

ncp

cp

Transmission horizontale

+++

+

Transmission verticale

+

-

Clinique

Signes très variables

Signes minimes

Réponse humorale (anticorps neutralisants)

Apparition précoce (14 jours)

Titres élevés

Persistence longue

Apparition tardive (25 jours)

Titres faibles

Persistence courte

Distribution tissulaire

Large

Réduite

Virémie

Fréquente

Rare

tableau 1: caractéristiques des biotypes ncp et cp

Mécanismes d’apparition des souches cytopathogènes:Les souches CP émergent de souches nCP chez les animaux infectés permanents par des modifications du génome viral de la souche nCP. Ces modifications sont diverses et font suite à des mutations et/ou des insertions de séquences virales ou cellulaires dans le génome, par recombinaison non homologue entre molécules d’ARN. Chaque type CP possède des modifications spécifiques dans son génome. Toutefois, l’insertion d’un gène cellulaire de type ubiquitine est fréquemment identifiée, associée ou non à une duplication du gène NS3. Ces modifications entraînent, pour les souches CP, une augmentation significative de l’expression de la protéine NS3 (ex p80) qui n’est plus fusionnée avec NS2 (ex p54) au sein du complexe protéique NS2/3 (ex p125). Différents mécanismes ont été proposés, tels que la sur-activation ou la modification de l’activité autoprotéase de NS2 ou un effet chimiotactique sur d’autres protéases cellulaires capables d’exciser NS3. Dans les cellules, la production de NS3 est sous le contrôle de produits d’expression de gènes cellulaires, notamment le gène <em>Jiv</em> (J domain protein interacting with viral protein). Ce contrôle  aboutit à une faible expression de NS3 pour les souches nCP mais il est débordé pour les souches nCP et finalement NS3 induit une destruction des cellules par mécanisme d’apoptose.

Diversité antigénique

La diversité des pestivirus se retrouve aussi au niveau antigénique. La diversité antigénique est surtout marquée sur les épitopes de la glycoprotéine E2, et en particulier les épitopes à l’origine de la réponse en anticorps neutralisants. Ainsi les anticorps neutralisants dirigés contre les glycoprotéines d’une souche virale ne neutraliseraient théoriquement  pas systématiquement une autre souche virale. Cependant,  des protections croisées ont été observées entre pestivirus appartenant à des génotypes différents, notamment entre génotypes de BVD-1 et de BVD-2.

Implications biologiques:

  • L’absence de barrière d’espèces
    La transmission interspécifique des pestivirus est largement documentée : les souches virales de BVD sont susceptibles d’infecter les ovins et les porcins, les souches de virus Border Disease sont isolées chez les porcins et les bovins. Seule la découverte de souches de Peste Porcine chez les bovins n’a pas été objectivée, mais elle est depuis peu prouvée chez les ovins, sans toutefois avoir de conséquences épidémiologiques. Ainsi les ovins ne doivent pas être négligés comme source de contamination ou d’entretien du virus BVD dans les cheptels mixtes bovins-ovins.
  • Virulence et pouvoir pathogène
    Le pouvoir pathogène du BVD est très variable d’une souche à l’autre. Certaines souches hypervirulentes sont à l’origine de syndromes hémorragiques. A l’inverse on estime que 70 à 90 % des infections sont asymptomatiques. Même sans symptôme, ces infections entraînent des conséquences souvent graves pour le troupeau en étant à l’origine de veaux infectés permanents immunotolérants (IPI) (cf chapitres pathogénie et épidémiologie). Les bases moléculaires des différences de pouvoir pathogène ne sont pas clairement établies. Suite aux premiers cas de BVD-2 en Europe, les souches de BVDV-2 ont été considérées comme plus virulentes. En réalité,  il est très difficile d’associer la pathogénicité des souches virales aux différents génotypes. Des souches hypervirulentes de BVDV, responsables de diarrhée virale, de syndrome hémorragique ont en effet été isolées dans les 2 génotypes. De même, des souches faiblement virulentes sont rencontrés dans les deux espèces.
  • Les conséquences pratiques
    Elles sont moins bien connues. La diversité génétique des pestivirus oblige à adapter les outils diagnostics (amorces et sondes PCR). Théoriquement la variabilité génétique pourrait être à l’origine de résultats faux négatifs en cas d’infection par une souche très éloignée génétiquement des souches reconnues par les trousses diagnostiques. En pratique, la plupart des trousses de diagnostic utilisent des régions très conservées pour l’amplification de l’ARN et sont contrôlées vis-à-vis d’un large panel de souches de pestivirus. La variabilité antigénique peut aussi poser des problèmes de sensibilité des tests antigéniques (ELISA).
    La variabilité des pestivirus oblige aussi à adapter les connaissances en termes de protection vaccinale. Il est communément admis une protection croisée entre différents sous-types du BVDV-1. De même, une protection croisée des animaux infectés par du BVDV-2 et préalablement vaccinés avec du BVDV-1 a été démontrée par plusieurs études. A l’inverse, les souches de BVDV-2 conféreraient moins de protection croisée vis-à-vis des souches de génotype 1.

 

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